Dans le tourisme, le handicap ne doit plus en être un

Le Trophée d’Or, remis par Frédérique Rousseau – 2e à g.-, directrice Innovation, Qualité et Développement durable des territoires et des filières d’Atout France, en présence du lauréat – 3e à g. – et de Pierre Boudot-Lamotte – 2e à d. ©ATH

Représentée à l’AJT par Stéphane Barthélémy (agence AB3C), l’association Tourisme & Handicap (ATH) œuvre depuis 2001 à sensibiliser les « pros » du secteur à l’accueil de personnes déficientes, tout en promouvant les sites déjà aménagés. Administrateur d’ATH, Pierre Boudot-Lamotte plaide pour que les efforts entrepris se poursuivent et  soient mieux valorisés.

Sait-on que 40% de la population française (et même européenne) est en situation de déficience ? Ce chiffre asséné d’entrée dit l’enjeu d’un tourisme adapté à cette cible, sous peine de ne pas accéder aux sites et services dont profitent les valides. « Attention, déficience ne veut pas dire uniquement handicap moteur ! Il y a aussi tous les déficients visuels, auditifs et mentaux. Pour ceux là, les lieux d’accueil touristiques ne nécessitent pas systématiquement une adaptation lourde », éclaire (et encourage) Pierre Boudot-Lamotte.

Dans la catégorie "Information touristique", le Trophée 2024 du Tourisme Accessibe a été décerné à l'Office de Tourisme d'Albi, ville dont la Cité épiscopale est classée à l'Unesco. ©Ville d'Albi/ATH
Un travail engagé dans les années 1990

« Quand on regarde dans le rétroviseur, on voit qu’un certain nombre de progrès ont été réalisés en France. Nous sommes dans les pays les plus avancés, au point que d’autres prennent exemple sur nous, tels l’Espagne et le Portugal », se réjouit le chargé de communication d’ATH. Ceci est le résultat d’un travail de fond. Initié dans les années 1990 par les associations d’handicapés, qui ont interpellé les professionnels du tourisme sur le sujet, cette pression a débouché sur la mise en place d’une cellule de réflexion par le secteur. Puis sur la création, en 2000, du label d’Etat Tourisme & Handicap, décerné par l’ATH aux socioprofessionnels ayant adapté leur structure.  

A Trégastel, dans les Côtes d'Armor, le gîte de vacances Ker Bubu est parfaitement adapté à l'accueil des PMR. ©Ker Bubu/ATH
Encore des réticences…

50% des sites labellisés aujourd’hui sont des hébergements. « Mais nous labellisons aussi des chemins de randonnées et des lieux historiques, comme le château des Ducs de Bretagne, à Nantes, un bel exemple de réussite ». Certes, il existe encore des réticences. « Des professionnels nous disent ne pas recevoir de clients handicapés, justifiant ainsi l’absence d’équipements. Mais c’est justement parce qu’ils ne sont pas équipés que les déficients ne viennent pas ! », remarque Pierre Boudot-Lamotte. Autre objection : le coût. S’il peut être conséquent pour l’accueil d’handicapés moteur, il l’est moins, par exemple, pour les déficients visuels ou auditifs.

Dans le PNR de la Forêt d'Orient, le Palais du Roi Chêne (Aube), sentier de balade, s'est vu décerné le Trophée du Tourisme Accessible en 2024, dans la catégorie "Loisirs". © PNR Forêt d'Orient/ATH
Des solutions technos innovantes

Un triumvirat fait ainsi avancer la cause du handicap dans le tourisme. Aux côtés d’associations d’handicapés et de professionnels du tourisme est aussi présent un corpus de PME spécialistes du handicap, qui travaillent à inventer les solutions de demain.  « Il s’agit de professionnels de l’accessibilité. Ils sont à l’origine de nouvelles rampes d’accès, d’alarmes visuelles et de systèmes informatiques innovants », éclaire le représentant d’ATH. Ainsi, un outil d’aide à la lecture a-t-il été conçu qui traduit immédiatement des informations dans la langue d’un malentendant étranger. Autres exemples : les casques de visites virtuelles, qui permettent de faire découvrir des sites à des personnes ne pouvant pas s’y rendre ; ou les flash codes sonores dans les restaurants (en français ou en langue étrangère), pour que les malvoyants (on estime leur nombre à 1,3 million dans l’Hexagone) puissent accéder aux menus.

Prix spécial du jury en 2024 pour les offices de tourisme du territoire des Monts du Lyonnais. © OTIMDL/ATH
Formation et accompagnement gratuit

Au croisement de tous ces acteurs, ATH mène plusieurs combats de front. La labellisation des sites mobilise des adhérents sur le terrain, qui vont juger de la qualité des aménagements et apporter des conseils. Menée en collaboration avec ADN Tourisme, la formation et l’accompagnement (gratuit) concerne beaucoup d’acteurs et de territoires. « Il y a quelques années, nous avons fait une formation auprès de chauffeurs de taxis pour qu’ils communiquent mieux avec les malentendants. Cela passait simplement par l’usage d’un carnet et d’un stylo ! Le bon sens doit être au cœur de tout ça », dit aussi Pierre Boudot-Lamotte.

Trophée d'Or Atout France pour le groupe Accor, qui a accéléré la labellisation de ses établissements. Ici le Molitor Hôtel & Spa Paris MGallery Collection... © ACCOR/ATH
La Nouvelle Aquitaine en avance, l’Île de France en retard

Et de citer des exemples de territoires devenus exemplaires en matière d’accueil des handicapés, telles les villes Bordeaux, Nîmes, Dunkerque, Saint-Malo, les monts du Lyonnais« L’Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et la Nouvelle Aquitaine, dont surtout la Charente, sont en avance. La Région Sud est un peu en retard, la région Ile de France beaucoup plus », juge le communicant.

... et là un autre hôtel design du groupe. © ACCOR/ATH
Des dossiers de presse à améliorer

La communication est aussi fondamentale pour faire avancer la cause. Pierre Boudot-Lamotte s’étonne que des sites parfois exemplaires ne mettent pas cet avantage en avant, à l’instar de l’Aventure Michelin, à Clermont-Ferrand. L’étude des dossiers de presse de sites ou d’institutionnels du tourisme montre aussi la quasi absence de communication sur le sujet. « Sur 10 dossiers, un seul va en parler ! J’ai pourtant peine à croire que certains sites incontournables puissent se passer de cette clientèle », se désole Pierre Boudot-Lamotte. Et de citer également un numéro spécial « 12 week-ends en bord de mer à 3h de Paris », publié en juin par Le Parisien en collaboration avec Michelin « où j’ai repéré un certain nombre de sites où il n’y a pas une seule ligne sur le handicap ! ».

Le Muséon Arlaten, à Arles (Bouches-du-Rhône), lauréat du Trophée 2024 dans la catégorie "Lieu de visite". © Muséon Arlaten/ATH
Plus d’infos possibles dans les articles des membres de l’AJT !

Alors pour aller plus loin, l’ATH a lancé en 2020 le magazine « Tourisme Accessible ». Le but est justement de mettre en valeur les lieux bien équipés, des informations souvent occultées dans les médias traditionnels. « Maintenant qu’il connaissent le magazine, les sites viennent frapper à notre porte », se félicite le chargé de communication d’ATH. Et de plaider pour que nous, journalistes de l’AJT, soyons vigilants dans nos articles, en rendant plus systématique l’information sur l’accessibilité, « notre contribution possible », invite Pierre Boudot-Lamotte.

L'écomusée Grand Orly Val de Bièvres, à Fresnes (Val de Marne) s'est vu attribué le Trophée Choose Paris Région. © GOSB/ATH.
Trophées du Tourisme Accessible depuis 2015

Pour rendre encore plus lisible le travail, il y a les Trophées du Tourisme Accessible. Décernés tous les ans au salon Handica Lyon (années paires) ou au salon Autonomic Paris (années impaires), ces trophées initiés en 2015, organisés par Atout France et mis en œuvre par l’ATH, récompensent des acteurs du tourisme détenteurs du label Tourisme & Handicap pour les 4 déficiences (auditive, mentale, motrice et visuelle). « Des sites candidatent à titre personnel et certains en parrainent d’autres. Chaque année, c’est un vrai pensum pour choisir car il y a souvent des candidatures très proches les unes des autres ». Neuf trophées ont ainsi été décernés en 2024, parmi 450 candidatures. Autant de lieux d’hébergement, d’information touristique, de loisirs et de sites de visite valorisés pour leur engagement. Un réflexe d’aménagement et d’information qui doit encore être étendu pour que le handicap devienne enfin la norme.

Philippe Bourget

 
 

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