Le tourisme a-t-il encore besoin de journalistes et de photographes ?

Le tourisme a-t-il encore besoin de journalistes et de photographes ? C’est sur ce sujet pour le moins polémique que s’est tenu le 7 avril 2016 le second débat de la saison organisé par l’AJT. Ambiance.

Michel-Yves Labbé et Elena Valdès del Fresno ont éclairé le public dans ce débat animé par Evelyne Dreyfus.

Définitivement révolue, l’époque des journalistes tourisme ? Pas vraiment si l’on en croit Elena Valdès del Fresno, directrice de l’Office de tourisme espagnol et Michel-Yves Labbé, fondateur de « departdemain.com » et de Directours (qu’il a revendu), qui intervenaient le 7 avril dernier dans le débat organisé par l’AJT au Welcome City Lab à Paris.

Mais, il est loin le temps où ceux-ci régnaient en maitres absolus sur l’information. La révolution numérique est passée par là, bouleversant les usages et les équilibres, tant pour le lecteur devenu internaute que pour les journalistes de plus en plus concurrencés par les blogueurs. D’où la question un rien provocatrice, d’Evelyne Dreyfus, de l’AJT, animatrice du débat: « le tourisme a-t-il  encore besoin de journalistes ? »

A l’ère d’internet et au vu des dizaines de milliers de contenus textes ou visuels partagés chaque jour sur la toile, la question a du sens. D’autant qu’en parallèle les annonceurs qui achetaient jusque-là l’audience des médias traditionnels se sont mis à entrer dans des logiques de productions éditoriales et à faire du « brand content ». Une communication de plus en plus rapide, reposant non plus principalement sur les mots mais sur l’image, plus facilement compréhensible sur les écrans des smartphones. De quoi déstabiliser les journalistes professionnels, ce dont a largement témoigné le public, en majorité dans la profession.

« Entre les photos gratuites sur internet, les sites comme Fotolia et l’AFP avec ses contrats express, les photographes professionnels souffrent beaucoup », a expliqué un photographe. Même chose pour ceux qui écrivent, « qui doivent changer, selon Michel-Yves Labbé, car ils sont dans une situation catastrophique ».

« Comment choisissez-vous les médias avec lesquels vous travaillez et comment s’opère le choix sur les titres moins connus ? » a alors demandé Evelyne Dreyfus à ses invités. « Nous choisissons en fonction de l’affinité du support par rapport au sujet mais quand j’envoie un journaliste quelque part, je ne sais pas combien cela va me rapporter car les retombées que les professionnels du tourisme peuvent attendre des articles publiés sur leurs destinations sont très difficilement quantifiables », a souligné Elena Valdès del Fresno, pour qui l’important reste que les journalistes parlent de la destination et donnent envie d’y aller et ce quels que soient les supports.

Une idée que ne partage pas forcément Michel-Yves Labbé qui peut mesurer au nombre de clics l’audience de sa startup qui vend des week-ends à la dernière minute. Et dans ce domaine, c’est la télévision qui lui offre la meilleure visibilité, a-t-il expliqué, comme le montrent les  45 000 clics en une journée dont a bénéficié son site à la suite d’un passage dans l’émission Capital. « Cependant, a-t-il  ajouté, la difficulté à mesurer de façon précise l’audience d’un article ne rassure pas vraiment les nouveaux managers qui, quand ils mettent un euro pour un service, veulent pouvoir récupérer leur mise avec un petit bénéfice supplémentaire. Pour eux, c’est donc compliqué d’envoyer un journaliste quelque part. »

Un raisonnement à l’antithèse de celui de l’Office de tourisme espagnol, qui accepte toutes les demandes. Y compris des blogueurs dont on ignore au fond s’ils ont de l’audience ou pas puisqu’ils peuvent acheter leurs « followers » a souligné la salle. « Les blogueurs c’est récent pour nous, a expliqué Elena Valdès del Fresno. On mesure leur audience sur Google Analytics et s’ils sont lus, on les invite. On aurait en effet tort de mépriser ces nouveaux supports. »

Les blogueurs ? Un sujet de réflexion pour Michel-Yves Labbé : « En ce moment, si  on les caresse dans le sens du poil certains sont grassement payés, ce qui est du marketing, a-t-il constaté. Mais tout cela pourrait ne pas durer, car le retour sur investissement est très faible. D’ailleurs, quand quelqu’un va se pencher sérieusement sur leur cas, on aura sans doute des surprises, même si pour l’instant, la crédibilité est de leur côté et non comme auparavant du côté des journalistes. » Ce qu’il semble déplorer en toute bonne foi. Même s’il n’a pas pu s’empêcher d’ajouter que cette situation était imputable à la façon dont se comportent les journalistes et leurs patrons qui n’ont pas compris que la force d’une entreprise c’était les hommes.

Pour Michel-Yves Labbé d’ailleurs, « le voyage de presse à la papa c’est terminé ». Désormais c’est sur le web que cela se passe et c’est aux journalistes d’y collecter l’information pour en extraire la « quintessence », tout en n’omettant pas de parler du contexte général qui prévaut localement. « Il faut faire du rêve qui tient compte de la réalité, a-t-il exhorté. Les gens n’attendent pas que vous leur parliez du ciel bleu ou de la beauté du paysage, mais que vous leur présentiez la réalité de ce qui se passe sur les territoires que vous visitez. »

Mieux vaut aussi, selon Elena Valdès del Fresno, faire découvrir la destination autrement, à l’image de nouveaux supports comme « The Good Life » qui ont su trouver leur lectorat.

Et ce malgré le rôle qu’elle dit essentiel du photographe pour produire un bon sujet. « Une photographie professionnelle change tout, a-t-elle constaté. Mais malheureusement il est rare qu’un journaliste nous demande de partir avec un photographe, car tout le monde ou presque prend des photos ». Un constat que partage Michel-Yves Labbé, sauf, dit-il, pour les professionnels de talent qui ont un regard et des histoires à raconter et qui parviennent ainsi à tirer leur épingle du jeu, leurs clichés s’extrayant du flot continu d’images. « Cela fait dix ans que c’est comme cela », lui a répondu dépité un photographe dans la salle.

« Qui est le journaliste de demain ? », a alors demandé Evelyne Dreyfus. « Un super community manager qui écrit bien tout en tenant compte de ce qui se passe sur la toile » , a répondu Michel-Yves Labbé. Tandis que pour Elena Valdès del Fresno le journaliste de tourisme se doit désormais d’être « quelqu’un qui donne envie de voyager tout en n’étant pas complaisant avec la destination, car c’est la seule façon d’être crédible ».

Un retour aux fondamentaux du journalisme en quelque sorte à laquelle se sont tenus, me semble-t-il, la plupart de nos confrères. Ce qui, avec les transformations de l’algorithme de Google qui rend de plus en plus difficile de remonter vers les premières pages du moteur de recherche, font pencher la balance dans le sens de la qualité et donc des journalistes, dixit Michel-Yves Labbé.

Plutôt une excellente nouvelle, non ?

Texte : Bénédicte de Valicourt

Photos : Brice Charton

 

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