Pas-de-Calais : le nord, ça déboussole !

L’Association des journalistes de tourisme invitée des Hauts de France…

Une image vaut mille mots, c’est bien connu. Ciel couleur de plomb et maisons enluminées : la photo raconte le Ch’nord, pays de pluie mais riche pays. Là-bas, le gris fait souvent place à la lumière et les surprises balayent les idées reçues.

 

Après la station de ski des Diablerets et la ville olympique de Lausanne (Suisse, canton de Vaud), Troyes et ses forêts d’Orient (Aube), puis Caen et les plages du Débarquement (Calvados), le conseil d’administration de l’AJT s’est décentralisé dans le Pas-de-Calais. Là-bas, dans le grand Ch’nord, nous avons pu vérifier que le fameux dicton Ch’ti disait vrai :  nous avons effectivement brait (pleuré) deux fois : en arrivant (il pleuvait), en partant (de regret).

Par François Rousselle

Si la jolie ville d’Arras a offert à Jean-Claude un estaminet à son nom, elle n’a jamais cessé d’être généreuse envers tous : envahisseurs, libérateurs ou simples visiteurs comme le CA de l’AJT.

Soyons francs : ce 31 mai 2024, si nous étions encore un peu endormis en montant dans le TGV direction Lens, nous avions tous en tête la bande-son de Bienvenue chez les Ch’Tis. L’accent (et les expressions !) du dialecte picard parlé dans le bassin minier ont fait rire la France entière en 2008 : le film, avec plus de 20 millions d’entrées est devenu le deuxième meilleur score du box-office français, derrière Titanic et devant La Grande Vadrouille. Certes, ce nouveau CA décentralisé allait se tenir dans le département du Pas-de-Calais et non dans celui du Nord (où fut tournée la comédie de Dany Boon) mais les découpages administratifs nous importaient peu : nous partions pour le Ch’nord, c’était ce qui comptait.
Certains (les sudistes) étaient curieux du dépaysement annoncé. D’autres étaient heureux de retrouver leurs racines, parfois lointaines. Mais nous étions unanimement fatalistes : il allait pleuvoir, c’était couru d’avance. Et il a plu, bien sûr. Pas tout le temps, certes, mais régulièrement. Et irrégulièrement. Quant aux images d’Épinal, elles nous avaient bien sûr donné rendez-vous dès la descente du train en gare de Lens : corons et terrils, frites et maroilles, bière et beffrois. Ce que nous ne savions pas, journalistes un peu trop blasés, c’est que des surprises nous attendaient.

“Ceci n’est pas une pipe” disait le surréaliste Magritte. Ceci n’est pas une gare, c’est une locomotive.
Ingénieur et artiste (les deux à la fois)

La gare de Lens elle-même, en premier chef, suscita un étonnement général:  Elle fut construite en 1860 par la Compagnie du Chemin de fer du Nord du banquier James de Rothschild lors de la mise en service de la ligne des houillères : il fallait relier les nombreux gisements de charbon de la région avec le réseau ferré existant.

La gare va s’avérer rapidement trop petite mais il était impossible de l’agrandir en hauteur à cause des mouvements de terrain dus à l’extraction de la houille : puits, galeries, tunnels et tailles commençaient déjà à pas mal bouleverser le sous-sol. On décide donc de l’allonger, en flanquant de part et d’autre du bâtiment d’origine deux extensions, tout en prenant quand même le risque d’ériger une haute tour-beffroi à bulbe surmontée d’un horloge à quatre cadrans.

Mais les ennuis ne survinrent pas du sous-sol mais …du ciel : bombardée dès 1914 puis occupée par les Allemands, le bâtiment est finalement entièrement détruit lors des ultimes combats qui dévastèrent Lens en 1918. Quelques années après la fin de la Grande guerre, un jeune architecte fraîchement diplômé des Beaux-Arts mais aussi de Polytechnique, Urbain Cassan, décide de construire une nouvelle gare en utilisant plusieurs éléments indépendants les uns des autres, et pouvant donc être facilement remis d’aplomb en cas d’affaissement du terrain grâce à un ingénieux systèmes de vérins. Ca, c’est son côté polytechnicien.

La gare de Lens est tout en longueur, par peur des affaissements. Si elle n’a pas d’étage, son intérieur est un bijou Art Déco.

La locomotive et la gare (ou l’inverse)

Mais comme il a également suivi une formation d’artiste acquise sur la rive gauche de la Seine, il va donner à sa gare la forme d’une locomotive à vapeur ! Le beffroi de 23 mètres sera la cheminée, les porches représenteront les roues et le bâtiment des voyageurs le poste de commande.

Et c’est de cette immense locomotive art-déco que nous sortons ce jour-là, accueillis avec une chaleur très ch’ti (c’est-à-dire sincère) par Maxime Truffaut, chargé des relations presse chez Hauts-de-France Tourisme. Urbain Cassan, lui, réalisera ensuite de nombreuses autres gares dont celles de Saint-Quentin, Saint-Amand-les-Eaux, Brest, Noyon mais aussi la gare transatlantique du Havre, détruite à son tour par la seconde guerre mondiale, qu’il reconstruisit lui-même en 1952. Mort en 1979, il n’a heureusement pas assisté à la destruction finale de son ouvrage en 2020, remplacé par une usine de fabrication d’éoliennes.

Mais revenons dans le Ch’nord. Au fil de nos rencontres, nous nous sommes vite aperçus que ce territoire meurtri par les deux guerres mondiales, traumatisé par la fin du charbon et la faillite du textile, moqué pour l’humidité de son climat ou sa platitude géographique avait su transformer ses multiples blessures en une surprenante richesse.

Le surréalisme belge n’est pas loin : l’office de tourisme de Lens-Liévin est à Limoges. Si si, croyez-nous, c’est marqué.
Un CA ici… et ailleurs

Après l’étonnement ferroviaire, en voici d’autres, beaucoup d’autres ! L’office de tourisme de Lens-Lievin, où nous conduit Maxime, s’est installé dans les locaux d’un ancien commerce des arts de la table dont l’immense enseigne “À la ville de Limoges” chapeaute toujours l’entrée du lieu. Nous sommes donc à Limoges et pourquoi pas, hein ? Je griffonne dans mon carnet : « ici, je suis ailleurs ».
Avant de sourire encore : l’OT est loin de n’être qu’un simple bureau touristique. Ici (donc ailleurs), visiteurs ou Lensois peuvent parloter, travailloter, longiner dans un canapé ou acater brocante ou panier bio.

Petit brief de Sophie Wilhelm, directrice de l’office de tourisme de Lens-Liévin, sur l’hospitalité des gens du nord, avant notre conseil d'administration. Elle ne mentait pas : durant deux jours, nous avons été accueillis partout avec chaleur.

Surprise aussi à l’estaminet Saint-Théodore où nous partons déjeuner après les 3 heures de CA : la réputation de fromage qui pue du Maroilles est injuste. Il accompagne délicieusement le filet mignon et aussi les moules. Même les sudistes le reconnaissent.

La cité Théodore de Lens (ou cité 9 car elle se trouve au nord de l'ancienne fosse numéro 9) possède une architecture qui reflète la hiérarchie sociale des houillères disparues. L’église et la maison de l'ingénieur encadraient les maisons des employés et les ouvriers possédaient des habitations plus modestes mais toutes avec un petit jardin. Aujourd’hui, elles abritent des retraités des mines ou des logements sociaux.
L’estaminet Théodore brasse désormais sa propre bière et sa cuisine au maroilles a séduit même les Marseillais !
Dessus et dessous (et inversement)

Ébahi encore en glissant dans la transparence (architectes japonais, bien sûr) du Louvres-Lens : le musée n’est pas une simple annexe de son aîné parisien. Sa Galerie du Temps n’existe nulle part ailleurs (elle est donc ici) et nous transporte du IVe millénaire avant notre ère jusqu’au milieu du XIXe siècle en faisant correspondre 200 œuvres de différentes civilisations. Plus qu’une histoire de l’art, c’est celle de l’humanité.

Inauguré en 2012, le Louvre-Lens est le symbole de la revitalisation de l’ancien bassin minier. Son architecture linéaire et horizontale renvoie à celle des bâtiments de surface des anciennes mines. Son parc paysager de 20 hectares sert de trait d’union entre le musée et la ville.

À l’intérieur, les 200 chefs-d’œuvre (prêtés par le musée du Louvre et le musée du quai Branly-Jacques Chirac) de la Galerie du temps dialoguent entre eux à travers les siècles.

L’Hermaphrodite endormi, sculpture en marbre grandeur nature du fils d’Hermès et d’Aphrodite, demande à ce qu’on le regarde de tous les côtés, devant/derrière, dessus/dessous.

Quant à l’exposition temporaire sur Les Mondes souterrains, c’est un puits sans fond, un sombre capharnaüm surgi des abysses, un inframonde où se mêlent fossiles houillers, tableaux de Gustave Doré, cercueils égyptiens ou simulations numériques des champs magnétiques du noyau de la Terre.
Depuis la nuit des temps, les profondeurs ont fasciné les hommes, peut-être encore plus que le ciel. Les 200 œuvres (peintures, objets d’art, films, etc.) nous plongent 20 000 lieux sous la Terre, entre effroi et fascination. Nous devenons mineurs, spéléologues, poètes ou scaphandriers.
En sortant de ces profondeurs, je note sur mon calepin : « Je n’aurais jamais dû quitter l’utérus maternel ». L’enfer, c’est la surface, ça, je le savais.

Si un lieu était prédestiné à accueillir l’exposition sur les Mondes souterrains, c’était bien le Louvre Lens, construit sur une ancienne mine de charbon. Foncez-y et plongez sous terre : l’expo n’est que temporaire et ferme malheureusement ses portes (des enfers) le 22 juillet 2024. Deux espaces se répondent : l’un est sombre, l’autre lumineux. Deux guides vous accompagneront, Thanatos et Éros, les principes vitaux de la psyché humaine.

Les casques de réalité virtuelle devraient faire partie de la panoplie d’outils des centres de cure de désintoxication : plus besoin de fumer de l’herbe qui fait rire ou de manger des psilocybes hallucinogènes ! Le voyage immobile et casqué que nous avons vécu au Louvre-lens nous a plongés avec délice dans le royaume sous-marin du kraken (pieuvre géante), transporté dans des paysages magnifiques sur le dos d’un phénix aux ailes multicolores ou au cœur d’un brûlant combat avec un horrible dragon. Oh la la !

L’œuf et la poule (ou l’inverse, encore)

La suite de l’aventure se déroule au pas de course (heureux que le pays ne soit pas montagneux) : on descend quelques bières (7.2 % vol) au sommet du beffroi d’Arras (75 m), on plonge dans ses boves (carrières, 12 m de profondeur) qui remontent au IXe siècle.

Le beffroi d’Arras exige du visiteur un peu de courage : il faut monter puis descendre. Grimper à son sommet où la vue dévoile la ville et le bassin minier puis plonger dans ses sous-sols où les boves racontent l’Histoire.
Dessus…
Dessous…

On part tourner en rond le long de l’Anneau de la Mémoire (345 mètres de périmètre dont 56 mètres au-dessus du vide). Les 580 000 noms de soldats morts lors de la Grande Guerre (sur les 9 millions de morts et disparus) ont été gravés sur cet étonnant monument circulaire par ordre alphabétique, sans distinction de grade, de religion ou de nationalités : les vainqueurs y côtoient les vaincus.

Sous un léger crachin qu’on ne remarquait même plus, nous avons fini la journée dans un petit restaurant du centre d’Arras, l’Oeuf et la Poule où nous avons mangé du poulet sous différentes formes (au pot, en filet, en salade mais pas au maroilles, dommage) avant d’aller nous coucher, épuisés.

 
 

 

 

Près de la plus grande nécropole de France, celle de Notre-Dame-de-Lorette (commune d'Ablain-Saint-Nazaire), l’Anneau de la mémoire de Philippe Prost évoque la fraternité, à l’instar d’une ronde d’enfants. Mais d’enfants morts.
La barque et le maire (dans cet ordre)

Le lendemain fut aquatique mais pas seulement à cause de la pluie (nous vîmes un joli coucher de soleil, entre deux averses). Eau douce d’abord avec une paisible balade en bacove (barque traditionnelle) dans les marais de Saint-Omer. Le jeune et blond capitaine avait plusieurs casquettes dont celle d’éco-guide : il nous fit découvrir une partie des 170 kilomètres des wateringues (voies navigables) audomaroises, ses nénuphars, foulques ou autres grèbes huppés.

Dans la Maison du Marais, nous nous sommes engouffrés dans le Sous-marais, un drôle de sous-marin de 24 mètres de long qui n’a jamais pris la mer mais qui raconte l’histoire des 3 700 hectares de ce monde entre terre et eau, celle des maraîchers qui ont façonné les marais depuis plus de treize siècles ou des 29 espèces de poissons qui peuplent les wateringues.

Hier, les enfants du marais de Saint-Omer partaient à l’école en bacôves (barque traditionnelle) mais aujourd’hui le facteur distribue toujours le courrier par le même moyen. Nous nous sommes contentés d’y glisser dans un agréable silence dû au moteur électrique avant de l’explorer dans un sous-marin immobile et de découvrir la richesse légumière de l’endroit : choux-fleurs (Saint-Omer est la capitale française du chou-fleur d’été), carottes de Tilques, endives de pleine terre, poireaux Leblond, artichauts gros vert de Laon, etc.

Eau minérale ensuite à l’hôtel Westminster, lors d’un long entretien avec Daniel Fasquelle, président du Comité régional de Tourisme et maire du Touquet-Paris-Plage, “la plus britannique des stations balnéaires françaises” (voir interview ci-dessous).

Ah, aucun doute, Le Touquet possède une double nationalité !
Eau de mer… et Sancerre (un mélange)

Eau des aquarelles un peu plus tard, en visitant le petit musée du Touquet, installé depuis 1989 dans la Villa Way Side, ancienne propriété d’un ambassadeur américain.

On y découvre habituellement plusieurs œuvres des peintres de la Colonie d’Étaples, tous amoureux du littoral de la Côte d’Opale, d’artistes contemporains comme Hans Hartung ou Vasarely ou des portraits photographiques de célébrités du début du XXe siècle mais le jour de notre passage l’exposition temporaire sur les affiches du Touquet (1882-2023) prenait toute la place.

Avec bonheur : les dessins Art nouveau des Chemins de Fer du Nord comme les plus récents vantent tous le charme des plages, l’attrait des casinos ou ceux des sports chics (golf ou équitation) et reflètent bien l’élégance que la station balnéaire veut mettre en avant.

En sortant de la villa au style anglo-normand, on comprend qu’on n’est pas à Dunkerque ou à Berck-sur-Mer.

Depuis plus d’un siècle, Le Touquet aime s’afficher. La preuve en dessins au musée.

Eau de mer enfin et, il faut bien l’avouer, quelques flacons de Sancerre. Chez Pérard, le restaurant de fruits de mer réputé depuis plus d’un demi-siècle pour sa soupe de poissons et où le tout Le Touquet se bouscule, on s’est régalé. Les huîtres étaient délicieuses, la sole bien préparée et le patron très sympathique.

En sortant, on remarque que la Manche, qui, tout à l’heure, descendait avait décidé de remonter, tout en restant plate. Le nord, vraiment, cha ch’est quécose !

Dans le centre-ville, le très maritime restaurant Pérard est connu comme le loup blanc (de mer) : décor paquebot, cuisine de poissons et fruits de mer mais aussi poissonnerie et bar à huîtres.

Interview Daniel Fasquelle, maire du Touquet-Paris-Plage

«Les Anglais adorent le Touquet, so british»

Daniel Fasquelle, maire du Touquet-Paris-Plage : « Nature et élégance est la devise de la commune. »

« Nous voulons être une station quatre saisons, de court, moyen ou long séjour et nous avons donc une politique événementielle tout au long de l’année grâce au Palais des Congrès, les épreuves d’équitation ou de golf ou des manifestations comme l’Enduropale, une course mythique qui réunit chaque année près de 2 000 pilotes, passionnés de sports mécaniques en 2 ou 4 roues, femmes et hommes, anonymes ou professionnels.

Le Touquet est idéalement situé, au croisement de Londres, Paris et Bruxelles et nos atouts sont nombreux : culture, sports, nature et patrimoine. Notre slogan ? “Élégance et nature”. »

Plus de Lords ici qu’à Londres !

« La ville connut son âge d’or au début du XXe siècle, en particulier entre les années 20 et 30 qui virent la construction du Westminster ou de l’hôtel de Picardie, détruit pendant la Seconde guerre mondiale. Mais l’engouement des Anglais pour la ville n’a jamais cessé : ils nous adorent depuis plus d’un siècle et j’aime dire que nous sommes la plus british des stations françaises ! On dit qu’il y aurait chez nous plus de lords que dans la chambre des députés de Londres… Et c’est notre ville que les Anglais ont choisie comme camp de base lors de la coupe du monde de rugby en 2023.

Les grands défis de demain : aménager le front de mer, faire disparaître les voitures en créant des parkings souterrains et développer notre Palais des Congrès. Nous ne voulons pas pour autant faire de la ville une station trop élitiste et nous voulons accueillir toutes les clientèles, aisées ou populaires. Et aider la population à se loger en créant des logements sociaux : on compte 4 500 habitants à l’année mais plus de 10 000 résidences secondaires. »

Une heure avec le maire du Touquet-Paris-Plage à l’hôtel Westminster…
Le Touquet-Paris-Plage. Peu importe le gris de la météo ou la température de la Manche : ici, les plages sont immenses et multicolores.

Photos © Caroline Paux

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